Tribune libre au Dr Christian Lovis, Professeur à l’Université de Genève, Médecin chef du Service des sciences de l’information médicale aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

Informatique et santé, informatique et médecine… Il est fascinant de voir combien ces termes sont indissociables en réalité, et pourtant aussi souvent contestés par ceux-là même qui devraient en être les moteurs: les professionnels.

Est-il besoin de rappeler que sans ces technologies, pas de Pubmed, pas de scanner, pas de laboratoire, et j’en passe… Cette invasion des technologies de l’information est ubiquitaire et généralisée, et elle est en passe de provoquer un bouleversement profond de la médecine. Je le dessine en cinq actes.

Le premier acte, l’acte fondateur presque, c’est l’invention de l’imprimerie. Une technologie mécanique de copie se substitue à un acte héroïque. Pas si banal. Mais dans le fond, la mise en réseau, l’internet, ne sont qu’une incroyable amélioration de ce principe de «rendre accessible».

Il faudra encore 600 ans, 1992, pour voir s’ouvrir le deuxième acte important, à savoir la décision du vice-président américain Al Gore de rendre Pubmed ouvert et gratuit. C’est probablement un des premiers grands actes de l’Open Access. La technologie rend l’information potentiellement accessible; cette technologie associée au mouvement Open Access rend l’information effectivement accessible. Pour la petite histoire, en 1468, Gütenberg a légué son invention à l’humanité…

Le troisième acte est celui de l’internet des objets et de l’explosion d’objets connectés, dont ceux qui sont directement concernés par la médecine: l’automonitoring. Il y a une pléthore de ces petits gadgets, et l’auto-mesure devient ubiquitaire alors qu’elle s’intègre progressivement dans les objets du quotidien, comme les téléphones cellulaires. Depuis 2015, 100% des nouveaux modèles des principaux fabricants intègrent des capteurs d’automesure. Et ce n’est qu’un début…

«Oui mais… Il y a toutes ces personnes, et notamment les personnes âgées, etc.» Le sempiternel discours.

Le quatrième acte justement, et je cite la une de Slate France du 26.01.2011 : «Le vieux est un geek comme les autres». Je dirais même que c’est le geek parfait. Et c’est sans doute ce qui explique que la population des plus de 65 ans présente actuellement la plus forte progression de l’adoption des nouvelles technologies en Europe. Et heureusement, d’ailleurs. Il n’y a donc aucune échappatoire. Et pourtant…

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Quelle résistance à ce cinquième acte qui se prépare ! Le dossier informatisé du citoyen (et accessoirement patient). La loi est sous toit, adoptée. Les ordonnances se discutent encore. Les professionnels résistent, les citoyens poussent. Bref, le monde à l’envers. Mais, inéluctable… Et c’est bien pour cette raison que j’ai commencé avec Gütenberg, le cercle est fermé. Il est temps de soutenir résolument et fermement l’informatisation du dossier médical, de santé, de soins, et autres. De le rendre accessible lorsque c’est requis, et surtout de se rappeler que ce dossier appartient aux patients. Et que c’est donc ce dernier qui décide qui peut voir quoi, et quand. Et lui seul.

Et ce sont bien ces cinq actes qui vont réellement nous mener au sixième acte, à savoir celui des patients effectivement informés, effectivement engagés (empowered?), dans une relation collaborative et coopérative. Des professionnels spécialistes de LA santé, des patients spécialistes de LEUR santé. Des spécialistes qui se parlent, et qui coopèrent.