L’essentiel en bref:

Depuis 2018 la FMH, santésuisse et curafutura ont décidé, d’un commun accord, d’utiliser une autre méthode afin de contrôler le respect du principe d’économicité des médecins. Cette nouvelle méthode, nommée «analyse de régression» ou «indice de régression», doit permettre une évaluation plus différenciée des honoraires médicaux en incluant des facteurs qui, jusque-là, n’étaient pas pris en compte. Ainsi, la méthode de l’indice de régression considère désormais des facteurs supplémentaires censés être indicatifs de la morbidité de la patientèle comme le montant de la franchise des patients, les hospitalisations des patients intervenues durant l’année précédente, ainsi que la prescription de certains médicaments entrant dans des groupes de coûts pharmaceutiques figurant dans une liste établie par l’OFSP. Des correctifs qui doivent, en théorie, permettre d’affiner la détection de pratiques non économiques.

Jusqu’en 2018, les statistiques utilisées par les assureurs pour identifier les médecins ayant une pratique non économique étaient générées par une méthode qui avait été élaborée par les assureurs sans véritable consultation du corps médical. Les critiques soulevées par l’usage de ces statistiques et la fréquente remise en cause de leur pertinence par la profession ont conduit le parlement à adopter une nouvelle disposition, entrée en vigueur en 2013, prescrivant aux fournisseurs de prestations et aux assureurs de convenir ensemble d’une méthode visant à contrôler le caractère économique des prestations. Sur cette base, la FMH, santésuisse et curafutura ont conclu le 23 mars 2018 une convention selon laquelle les trois associations faîtières ont accepté, en substance, d’utiliser une nouvelle méthode dénommée «analyse de régression» ou «indice de régression», qui a été élaborée dans l’intervalle, pour contrôler le respect du principe de l’économicité par les fournisseurs de prestations.

Une méthode statistique toujours schématique

Auparavant, les facteurs dont la méthode statistique tenait compte étaient limités à la région dans laquelle le médecin pratiquait, ainsi qu’au sexe et à l’âge de la patientèle (méthode ANOVA, utilisée depuis 2004). La méthode de l’indice de régression tient désormais également compte de facteurs supplémentaires censés être indicatifs de la morbidité de la patientèle, à savoir le montant de la franchise des patients, les hospitalisations des patients intervenues durant l’année précédente, ainsi que la prescription de certains médicaments entrant dans des groupes de coûts pharmaceutiques (Pharmaceutical Cost Groups, PCG) figurant dans une liste établie par l’OFSP. La prise en compte de ces facteurs est censée rendre la méthode plus fiable par l’application de correctifs ayant trait à des spécificités de la pratique de certains praticiens pouvant avoir une influence sur les coûts qu’ils génèrent pour l’assurance.

La question de savoir si ces correctifs permettent effectivement d’affiner la détection de pratiques non économiques mérite toutefois d’être posée.

S’agissant de la prise en compte de la franchise, par exemple, bien que l’on puisse aisément concevoir que les patients dont la franchise est plus basse sont susceptibles de générer des coûts plus élevés, le montant croissant des primes peut également conduire certains patients de condition financière modeste à choisir des franchises plus élevées, alors qu’il est généralement reconnu que les patients provenant des milieux les moins favorisés sont en moins bonne santé et génèrent plus de coûts.

Le facteur qui a trait au nombre de patients hospitalisés durant l’année écoulée interroge également. Le principe d’économicité des prestations suppose de tenir compte de l’intérêt du patient et du but du traitement ; autrement dit, de l’efficacité du traitement. Or, si les hospitalisations de patients sont prises en compte comme un indice de morbidité de la patientèle conduisant, chez le médecin qui en compte plus que la moyenne de son groupe de comparaison, à une correction de ses chiffres vers le bas, cela pourrait amener à favoriser certaines pratiques moins efficaces par rapport à celle d’autres médecins qui, grâce peut-être à des consultations plus fréquentes ou des traitements plus coûteux, parviennent à éviter à leurs patients des hospitalisations.

La prise en compte des prescriptions de médicaments figurant dans la liste des PCG établie par l’OFSP suscite aussi des questionnements, notamment s’agissant des seuils retenus. Il n’est en effet tenu compte des médicaments prescrits entrant dans la catégorie du PCG que si trente médecins au moins du groupe de comparaison prescrivent un volume minimal de ces médicaments. Suivant les régions toutefois, certaines spécialités regroupées dans un groupe de comparaison comptent moins de trente praticiens. Dans le même sens, il arrive parfois qu’à l’intérieur d’un groupe de comparaison d’une spécialité donnée, un sous-groupe doive être créé en raison de particularités reconnues de leur pratique, et ce type de sous-groupe est régulièrement composé de moins de trente médecins. Un autre danger de mauvaise interprétation pourrait survenir, par exemple, dans des situations où des soins médicaux intensifs permettent d’éviter la pharmacothérapie ; il y aurait alors un risque que des pratiques soient jugées plus sévèrement du fait que la patientèle serait «classée» par les algorithmes utilisés comme étant en meilleure santé que celles des médecins prescrivant plus de médicaments entrant dans la catégorie d’un PCG.

Ces exemples illustrent les problématiques qui sont inhérentes à l’utilisation de ce type de méthode, forcément schématique, et sur lequel il convient donc de conserver un regard critique. En définitive, le seul facteur qui permettrait de véritablement affiner la méthode serait de tenir compte d’indicateurs liés au diagnostic, comme c’est généralement le cas à l’étranger dans les pays qui utilisent des méthodes de screening similaires. Les données nécessaires n’étant toutefois pas disponibles chez les assureurs en Suisse, la méthode de l’indice de régression utilise d’autres facteurs, examinés plus haut, qui laissent cependant subsister de nombreuses interrogations sur la pertinence des indices qu’ils génèrent.

Examen individualisé

Cela dit, l’examen analytique d’une pratique individuelle demeure la seule façon de déterminer concrètement si une pratique est ou non économique. Il est d’ailleurs intéressant de relever que l’institut Polynomics, qui a expertisé la méthode de l’indice de régression pour en valider la pertinence, a expressément relevé que ses imperfections ne devaient pas conduire à la disqualifier, puisque cette méthode ne devrait être conçue que comme une première étape de sélection, devant forcément être suivie d’un examen individualisé de la pratique mise en évidence par les statistiques. Cette circonstance doit régulièrement être rappelée aux assureurs, voire aux tribunaux, qui ont souvent tendance à se baser sur les indices en refusant un examen approfondi de la pratique du médecin attaqué.

Quoi qu’il en soit, il serait souhaitable qu’une transparence totale soit respectée en ce qui concerne le fonctionnement de la nouvelle méthode de l’indice de régression, et que ce fonctionnement soit expliqué de manière intelligible aux médecins concernés, afin que ceux-ci puissent déterminer en toute connaissances de cause si certains aspects de leur pratique y échappent et expliquent des chiffres plus élevés que leurs confrères.